Publié le 28/07/2020

Le sens de l’Humour … Interview de Fabrice Laurent directeur du festival Perf Acteur à Cannes

“L’humour c’est un état d’esprit, un regard particulier sur le monde qui nous entoure, sur la société en général. C’est l’impertinence, c’est la dérision, c’est l’autodérision pour ceux qui pratiquent l’humour”. Interview de Fabrice Laurent, directeur du Festival Performance d’Acteur de Cannes et président de la Fédération Française des Festivals d’Humour.

Fabrice Laurent directeur du Festival Perf Acteur Cannes

À Cannes, avec le ‘Festival Performance d’Acteur’, l’Humour vole au secours de la Culture. Entretien avec Fabrice Laurent, le directeur.

« Je ris donc je suis » écrit Inès Pasqueron de Fommervault.

"Le rire et l’humour, plus que le propre de l’homme, sont davantage le propre d’une société. Ainsi, dans la mesure où le rire et l’humour, de par leur aspect communicationnel, reflètent et transmettent les normes d’une société, ils permettent de maintenir et renforcer les frontières sociales et les identités de groupe. En ce sens, il joue un rôle essentiel dans le processus de socialisation . Lorsqu’on rit, l’hypothalamus libère la production d’endorphines, morphines naturelles, aux propriétés antidouleur et calmante. Le rapport entre « endormir la douleur » et rire est donc chimiquement observable. Certains écrivains vont exacerber la capacité de distanciation de l’humour à travers des œuvres au caractère satirique qui sonnent comme l’expression d’une distanciation nécessaire vis-à-vis d’une réalité inhumaine. L’humour est dans ce cas une résolution face à une réalité perçue non seulement comme incongrue mais aussi comme injuste. L’humour, au travers de la littérature, révèle encore plus sa dimension sociale puisqu’il devient dans certains cas une véritable satire qui assume une fonction défensive contre la société, contre le pouvoir, contre les injustices. Depuis Aristophane en Grèce, Horace à Rome jusqu’à Boileau, Molière ou encore La Bruyère, les écrivains n’ont cessé, à travers leurs œuvres satiriques à l’humour ardent, de ridiculiser leurs contemporains pour dénoncer certaines injustices et absurdités, conformément à l’épigraphe latine si connue, Castigat ridendo mores (« Châtier les mœurs par le rire »)."

Un humour salutaire

Les textes humoristiques font partie des plus beaux morceaux de la littérature, qu’elle soit française, européenne, africaine, mondiale. Mais en ces temps de pandémie, n’oublions pas que l’humour est surtout….. salutaire !

Au-secours, rendez-moi mon Festival !

C’est le cri silencieux de milliers de spectateurs.
Dans un mélange savant de talents émergents et de têtes d’affiche, le Festival ‘Performance d’Acteur’ se démarque des autres festivals d’humour par une exigence, une qualité, et une grande fréquentation. Reconnu, suivi, ovationné, il a dû, comme nombre d’autres festivals, annuler son édition en Avril 2020. Son dynamique et souriant directeur, Fabrice Laurent, qui impulse son enthousiasme et sa passion à ce Festival depuis près de vingt ans, ne manque pas de ressources pour faire vivre son festival et ressusciter le spectacle vivant.

Interview de Fabrice Laurent, directeur du festival Perf Acteur de Cannes

Danielle Dufour-Verna – Projecteur TV : Parlez-moi de vous.
Fabrice Laurent : Je suis le Directeur du Festival ‘Performance d’Acteur’ qui se déroule toutes les années à Cannes au mois d’avril mais pas cette année et je suis président de la Fédération Française des Festivals d’Humour. Je suis né à Paris. J’ai connu le Festival où j’avais des fonctions d’attaché de presse il y a très longtemps. Par la suite, le Directeur de l’époque et moi-même, nous sommes associés sur de nombreuses activités. Il est malheureusement décédé en 1999. J’étais à ce moment-là Président de l’Association ; J’ai continué et en suis devenu Directeur en 2001 pour préparer l’édition de 2002. J’ai été attaché de presse à Cannes de plusieurs manifestations : festival de danse, festival de jazz, rencontres cinématographiques….

DDV - Projecteur TV : Parlez-moi du Festival Performance d'Acteur

Fabrice Laurent : Le ‘Festival Performance d’Acteur’ consiste à donner pendant huit jours un panorama le plus large possible de l’humour en passant par les très jeunes scènes émergentes car il y a beaucoup de jeunes qui viennent en tout début de carrière, plutôt dans les plus petites salles évidemment, et également les artistes à forte notoriété qui font les plus grosses salles aux horaires de 21 heures. Nos salles pendant le Festival vont de 100 à 2200 places, en passant par 1000, 500 etc. ce qui nous laisse une grande possibilité de programmer des gens très différents par leur style et par leur humour et par l’évolution de leur carrière. L’émergence est vraiment une pierre angulaire de ce Festival et c’est quelque chose qu’on continue de développer d’année en année.

DDV - Projecteur TV :  Qu’en est-il du public ? Il s’est fidélisé, a augmenté?
Fabrice Laurent : Oui, un public qui a augmenté, c’est le cas tous les ans. Cette année nous étions très tristes d’annuler l’édition du mois d’avril car on aurait fait la plus grosse édition des quarante ans de Festival. Depuis quelques années –mais cela est dû au travail de la programmatrice Agnès Bonnet- on a constaté un énorme rajeunissement du public. Aujourd’hui la moyenne d’âge tourne autour de 33 ans, ce qui n’était pas le cas au début du Festival. On s’aperçoit qu’en fonction des horaires on fidélise une certaine catégorie de public. Il y a une partie des gens qui viennent pour les découvertes, qui adorent découvrir de jeunes artistes, qui sont fidèles, qui viennent tous les jours, qu’on finit par connaître d’autant plus que les salles sont évidemment plus petites pour les artistes émergents. Il y a donc une grande fidélisation du public avec vraiment ce rajeunissement très fort, qui nous a permis de capter un nouveau public. Ce n’était pas gagné d’avance et cela c’est lié très fortement à la programmation.

DDV - Projecteur TV :  Durée et date du festival ?
Fabrice Laurent : Cette année le Festival n’a pas eu lieu. Ce que nous avons réussi à faire car le public le demandait et que nous avions tout intérêt à essayer de rattraper un maximum de choses, c’est que forcément on s’est réinventé. Il y aura plusieurs dates qui ont été reportées. Il n’aura pas lieu dans la forme habituelle ;
Le 30 juillet et le 4 août dans le cadre de Terrasse on air à Cannes à l’initiative de la Ville de Cannes et du Palais des Festivals
Ensuite, deux dates en septembre et deux dates en décembre. Ce sera un peu éclaté, pas tout à fait le même esprit que d’habitude. On va essayer de reconstruire autour de ces dates quelque chose qui rappelle vraiment le festival tout en se demandant, pour les dates de septembre par exemple, si on pourra les faire puisqu’on ne connait pas encore les conditions sanitaires qui seront imposées aux organisateurs de spectacle à cette date
DDV - Projecteur TV : Quelle est la fourchette de fréquentation du festival
Fabrice Laurent : L’année dernière c’était 10 000 personnes et je crois que cette année on aurait dépassé les onze mille spectateurs

DDV - Projecteur TV : Pour vous, l’humour, qu’est-ce-que c’est ?
Fabrice Laurent : L’humour c’est un état d’esprit, un regard particulier sur le monde qui nous entoure, sur la société en général. C’est l’impertinence, c’est la dérision, c’est l’autodérision pour ceux qui pratiquent l’humour. C’est aussi, je crois, quelque chose d’assez critique et d’assez subversif. C’est en tous les cas ce qu’on aime bien montrer à Performance d’Acteur. En terme de comédien et de travail d’acteur surtout, l’humour c’est du théâtre, donc ce sont des textes et un comédien qui joue un texte, souvent le sien quand on parle d’humour, mais pas toujours. On rappelle toujours que les règles de travail d’un comédien d’humour sont en fait les mêmes que celles d’un comédien de théâtre. On oppose souvent les genres à mauvais titre. L’humour c’est un peu aussi de digérer parfois des situations difficiles, y porter un regard différent et voir qu’on peut rire, y compris des choses les plus terribles.

DDV - Projecteur TV : Des grands qui vous ont marqué ?
Fabrice Laurent : Il n’y en a pas mal. Parmi les premiers coups de cœur que j’ai découverts en suivant le Festival avant d’en être le Directeur, j’avais été frappé par le travail de Philippe Caubère, par ces gens qui viennent du théâtre et du cinéma. Pour revenir aux plus jeunes générations qui sont apparues au fil des années, on a adoré et beaucoup soutenu Gaspard Proust, Monsieur Fraize, Florence Foresti qui a démarré ici dans une petite salle et n’a cessé par la suite de revenir au Festival dans des plus grandes salles. Les humoristes qui ont démarré ici, comme Stéphane Guillon, Tomer Sisley… sont nombreux.

DDV - Projecteur TV : Alévêque ?
Fabrice Laurent : Christophe Alévêque a été certainement un des artistes les plus programmés à Performance d’Acteur. Il était souvent à l’origine de soirées originales qu’on appelait ‘les Nuits de la provocation’ entourés d’un certain nombre d’artistes. Il y avait là, vraiment, une création qui était faite pendant ces soirées avec quelques artistes.

DDV - Projecteur TV : Vous préconisez l’humour… intelligent ?
Fabrice Laurent : Nous avons des choix artistiques, des goûts aussi qu’on n’essaie pas toujours de mettre en avant, mais forcément un petit peu quand même. La patte de ‘Performance d’Acteur’ est un peu différente de celle des autres Festivals. Effectivement, on a toujours accordé beaucoup d’importance à l’écriture. Toutes les personnes dont on vient de parler sont des artistes qui ont pris beaucoup de soin à l’écriture, soit en écrivant eux-mêmes soit en cherchant des auteurs de talent. Et cela devient forcément une donnée extrêmement importante de leur spectacle.

DDV - Projecteur TV : 
Combien d’artistes attendus pour ces journées ?
Fabrice Laurent : Tout n’est pas bien défini encore. De manière certaine, en septembre nous aurons deux artistes programmés au mois d’avril qui seront présents : Le 9 septembre, au Grand Auditorium du Palais des Festivals, Inès Reg et Alban Ivanov le 12 septembre, Jarry le 15 décembre au Grand Auditorium et Bun Ay Mean le 18 décembre, théâtre Debussy du Palais des Festivals.

DDV - Projecteur TV : Le Festival tient-il le coup économiquement malgré les problèmes sanitaires ?
Fabrice Laurent : La tenue des dates de septembre va être déterminante pour répondre à votre question. Les quatre dates sont remplies mais cela dépendra des conditions sanitaires. Pour l’instant il y a eu des aides mises en place qui nous ont permis de tenir, essentiellement le chômage partiel. Tous les frais du Festival du mois d’avril étaient complètement engagés. On a tout arrêté le 7 mars.

DDV - Projecteur TV : Une aide de la part de la Ville ?
Fabrice Laurent : La ville de Cannes a maintenu ses subventions et a été très proche des organisateurs qui étaient en difficulté à cette période. On les en remercie beaucoup.

DDV - Projecteur TV : Personnellement, quelles sont vos activités en plus de votre fonction de Directeur du Festival ?
Fabrice Laurent : J’ai une agence de communication culturelle. Je m’occupe de la communication de beaucoup de Festivals. Avec mon agence je travaille dans la musique classique, éventuellement le théâtre, la musique contemporaine.

DDV - Projecteur TV : Qu’espérez-vous pour demain ?
Fabrice Laurent : Comme tous, j’espère que nous arriverons rapidement à une situation normale. Il y a vraiment urgence. La culture, le spectacle, fait partie de nos vies et il est un peu inconsolable de penser qu’à un moment donné l’art vivant ne puisse pas continuer son chemin à la fois de présentation d’œuvre au public et d’attirance de jeune public en particulier vers la scène vivante. C’est très important. C’est une de nos priorités pendant le Festival. On travaille beaucoup avec les jeunes, les jeunes des quartiers. On essaie de les sensibiliser à l’art vivant. Et ça fonctionne. Il y a également un facteur économique très lourd. Il y a beaucoup de gens qui travaillent pour le spectacle. Des mesures ont été prises pour les intermittents mais, d’une part, il n’y a pas que des intermittents qui travaillent pour le spectacle, et d’autre part, même si les droits des intermittents sont prolongés pour le moment, il faudra bien qu’ils recommencent à faire du vivant pour maintenir leur statut. On espère très sincèrement et très profondément qu’on va pouvoir revenir à une condition normale. On a conscience de tout ce qui peut se passer éventuellement et c’est la priorité mais il y a un secteur culturel dans son ensemble qui est largement impacté dans ses fondements. On espère qu’il n’y aura pas trop de casse à la sortie de tout cela et qu’on pourra repartir l’esprit libre pour continuer à faire nos métiers.

DDV - Projecteur TV : Le bonheur pour vous Fabrice, qu’est-ce-que ça serait ?
Fabrice Laurent : Le bonheur c’est je crois, la passion, vivre son désir, vivre ses envies, essayer de construire la vie dont on a rêvée quand on était jeune et surtout ne pas perdre cet esprit enfantin, adolescent. Essayer de rester le plus fidèle possible à la vie qu’on imaginait. Et puis évidemment c’est l’amour. Et puis évidemment tous les plaisirs auxquels on peut accéder : un bon concert, un bon disque…

DDV - Projecteur TV : On va prendre dans l’ordre : l’Amour, vous avez ?

Fabrice Laurent : Oui (il rit)

L’esprit enfantin ?
Je crois vraiment l’avoir gardé. Je ne sais pas si on peut avoir ce métier si on a complètement perdu son esprit d’enfance. Je ne crois pas.

Le plaisir de la musique ?
C’est très important. J’ai beaucoup travaillé dans la musique. C’est toujours une des priorités. Tous les genres. J’ai découvert le classique par mon métier et j’ai eu des émotions absolument incroyables. Écouter de la musique fait vraiment partie de mon équilibre. J’ai aussi adoré le rock, la chanson française. J’aime beaucoup de choses en musique. Oui ça fait vraiment partie de moi.
DDV - Projecteur TV : Quand on a des ‘émotions incroyables’ c’est qu’on est un peu romantique ?
Fabrice Laurent : Oui on peut dire ça, oui (il rit). Je lisais beaucoup Lamartine quand j’étais jeune. Il y a une chose que j’ai adorée dans mon adolescence et ma vie de jeune adulte, c’était l’insouciance. J’ai des enfants et je regrette sincèrement qu’il n’y ait pas cette même insouciance, qu’il y ait plus de doutes sur leur avenir, plus de pression. C’est un bien précieux et je suis très triste pour les prochaines générations, qui vont faire autre chose, qui vont découvrir autre chose, avec d’autres combats à mener. Quand on en parle, ils nous envient d’ailleurs les années 70, 80.

DDV - Projecteur TV : Vous voulez ajouter quelque chose à cette interview ?
Fabrice Laurent : Je crois qu’on a dit le principal. Ce que j’espère vraiment c’est que les artistes vont de nouveau pouvoir s’exprimer et pas seulement virtuellement devant des caméras, des téléphones portables ou des ordinateurs. Qu’ils vont pouvoir retrouver la chaleur et la communion du public qui adore ces artistes, que ce soit des comédiens, des musiciens, des danseurs, des performeurs dans tous les genres. Qu’on retrouve cette joie de salle de spectacles pleine et celle de découvrir les artistes sur scène. C’est vraiment à cela que je pense en ce moment et j’espère que ça va aller assez vite.

Projecteur TV se joint au souhait de Fabrice Laurent : «  Que le spectacle commence » et « Que cela soit écrit et accompli » !

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