Publié le 28/01/2020

“Merde à Shakespeare”, Crotte à la bien-pensance et aux disséqueurs de tous poils

Merde à Shakespeare

‘Merde à Shakespeare’, un pamphlet fulgurant
Crotte à la Bien-pensance et aux disséqueurs de tous poils

Vu pour vous le samedi 25 janvier 2020 au Théâtre Axel Toursky

Merde à Shakespeare, son auteur lumineux : Henri-Frédéric Blanc

« La vérité n’est pas soluble dans l’argent ! Défonçons les portes et on nous ouvrira !... » (Henri-Frédéric Blanc)

Henri-Frédéric Blanc est un agitateur de génie. Sous une apparence calme et débonnaire, se cache un trublion qui n’a de cesse de secouer les puces et les consciences. Quel abîme entre l’homme réservé, mesuré, et l’auteur ! Chaque phrase est une explosion de l’esprit où se mêlent humour, malice, raillerie. La légèreté, la frivolité, la fantaisie, sont autant de manettes pour dire ce qui n’est pas futile, insignifiant, superflu. Il y a là de la gravité, de l’authenticité, une intériorité à la richesse profonde. Ce rire induit la réflexion, simplement, sans peser, avec une force décuplée, car on ne s’y attend pas, un peu comme une bourrasque retournant les baleines d’un parapluie.
C’est toute la puissance de la pièce ‘Merde à Shakespeare’ d’Henri-Frédéric Blanc, mise en scène par Olivier Pauls.

« Réverbères, bacs à ordures, trottoirs mouillés… tout n’est qu’un bloc de pure attente, du vide à l’état solide avec mon cœur qui bat dans un coin. »

Les spectateurs rient, beaucoup, et le message s’inscrit en filigrane : non seulement une formidable réflexion sur le théâtre, mais une analyse profonde de l’homme, de sa capacité ou de sa non-capacité à affronter la déchéance. Le conférencier ira jusqu’à s’identifier à Shakespeare, objet de sa propre rancœur.

« J’adorerais être mort si j’avais mes bouquins en rang d’oignons à la London Library ! »
Cet hommage décalé et jubilatoire au célèbre dramaturge élisabéthain, William Shakespeare, embarque le public crescendo dans la folie d’un homme. On peut très bien, dans l’hilarité générale, vouloir simplement naviguer en surface sur le sujet de la pièce et s’amuser du comportement, des mots et des facéties de cet homme de théâtre fatigué, amer, qui donne une conférence un soir pluvieux sur Shakespeare dans une petite ville de province. Mais la ville est déserte au sortir de la conférence. Même un chat, rasant les murs sombres, ignore l’appel de l’acteur déchu. Il est seul, irrémédiablement seul.

Xal, un acteur formidable

« Ce Terminator des planches a fourni une quarantaine de pièces. La quantité… un diplodocus qui écrase tout sur son passage… La nullité ça va avec… »

Le texte, littéralement ciselé, véritable joyau sémantique, se marie avec bonheur à la magnifique interprétation de Xal. Fabuleux comédien au physique anguleux, aux cheveux gris fous, on le croirait tout droit sorti d’un livre poussiéreux, de ceux où les forêts avancent seules, de ceux dont il décrie l’auteur… Mais cet acteur vieillissant et amer fait preuve d’un dynamisme débordant. Luron déchainé, il saute de chaises en table, s’allonge, paraphrasant le grand dramaturge, et oh ! Miracle ! Shakespeare est devant nous, une main tenant un verre outrancieusement posé sur un crâne. Celui de Yorick qu’Hamlet regarde en méditant sur la mortalité ? Celui de William Shakespeare, dont on suppute que des inconnus l’aient volé et tenu en main ?
« Un ancien a dit que la satire était le cri du cœur… et que la moquerie aérait l’intérieur du crâne mieux que ne le font les oreilles. Un autre ancien a dit qu’en raillant un homme on anticipait juste la caricature de lui-même qu’il deviendrait un jour. »

Dans ce tour de force vertigineux où il excelle, aucun temps mort, aucune faiblesse dans le rythme. Xal joue avec le public et, le prenant à partie, l’appelle à participer. Il relève au passage la toux d’un spectateur, jette des objets à une personne du premier rang, questionne… Des photos, des images, paraissent sur l’écran du conférencier, le narguent, l’exaspèrent ou lui font peur peut-être, ajoutant à sa détresse, à sa déraison, à son déséquilibre, à sa folie, ultime façon de rester en vie face à l’immortalité de ce barde gothique qu’il exècre pour l’avoir trop aimé :

« Car chacun a le droit d’être Shakespeare ».

Olivier Pauls, une mise en scène ingénieuse

Des objets en forme de clins d’œil, un Shakespeare animé sur l’écran du conférencier, du mouvement, des trouvailles saugrenues, Olivier Pauls signe ici une mise en scène intelligente, créative ajoutant à l’aspect loufoque et farfelu de la pièce, à laquelle on ajoutera l’impact de moments musicaux aussi beaux qu’inattendus !

« Il fait hi-han quelle connaissance de la politique ! »

Merde à Shakespeare, ce sont des mots pour soulager les maux d’un être humain en rupture d’une société qui écrase, mais ce sont des mots qui ne soignent pas. Ils dénoncent, ils appellent, par l’humour, par l’acuité des termes et du jeu, ils se rebellent. "Merde à Shakespeare", c’est l’histoire d’un homme, tout simplement.

Après le crépitement des applaudissements, après les nombreux rappels, Xal s’adresse aux spectateurs pour remercier le théâtre Toursky et recommander, en ces temps électoraux, de ne donner son bulletin de vote qu’à celles et ceux qui font de la culture leur figure de proue.

Qu’il en soit donc ainsi !