Publié le 15/06/2021

Les années de pèlerinage du compositeur Eric Breton

Rencontre avec Éric Breton à l’occasion de la sortie d’un double CD, “Mes années de pèlerinage”. Le compositeur et pianiste revient sur son parcours artistique à travers les grandes œuvres qui l’ont suivi et influencé. La pochette du disque est illustrée par le tableau de Pascal Bouterin “Ensemble”. D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Eric Breton nous invite à partager ses “années de pèlerinage” inspirées des œuvres de Franz Schubert, Ludwig van Beethoven, Frédéric Chopin, Domenico Scarlatti, Paul Gauguin ou encore, et surtout, Franz Liszt.

pascal bouterin ensemble mes années de pèlerinage album eric breton

Pendant ces temps de contrainte sanitaire, le compositeur et pianiste Éric Breton a mis, si l’on peut dire, les portées doubles : en même temps qu’il écrivait son opéra « Le Messie du Peuple Chauve », il mettait en musique ses « Années de pèlerinage », en gravant un double Compact Disc pour piano seul dont la pochette montre en couverture un tableau de Pascal Bouterin, un artiste autodidacte, également musicien de jazz accompli, originaire de Saint Rémy de Provence, chez qui il a rencontré Dante qui l’a conduit « tout naturellement » à Franz Liszt.

Mes années de pèlerinage, par Éric Breton

Le premier CD propose des pièces de piano, de Scarlatti à Liszt, des pièces qu’il aime, qu’il jouait étant jeune au Conservatoire, et qui sont comme un premier pas de son chemin de pèlerin.

Le second, qui porte spécifiquement le nom de « Mes années de pèlerinage » est composé de huit morceaux qui alternent entre des compositions de Liszt jouées « à sa manière » et ses propres créations dont l’inspiration maçonnique et philosophique se manifeste par ses titres : "Égrégore", "D’où venons-nous ? Qui sommes nous ? Où allons nous ?". L’ensemble est fait pour être écouté d’un seul trait.

Un album au parcours presque initiatique que nous avons demandé à son créateur de décrypter pour nous

Victor Ducrest - ProjecteurTV : Comment s'est passé le confinement pour le compositeur que vous êtes ?

Éric Breton : J’en ai profité pour achever une œuvre personnelle que j’ai intitulée « Mes années de pèlerinage » sous la forme d’un double CD. J’avais composé ce cycle pendant la période de gestation de l’opéra. Juste après la création du « Messie », je me suis dit que j'allais faire un double CD avec un premier CD qui comporte pas mal de pièces que je joue depuis des années et donc pendant trois mois je me suis mis à six heures de piano par jour pour ne pas déprimer. D'autant que les choses ne s'étaient pas passées de la meilleure manière, car même si on a eu la possibilité de créer l'opéra, même si on l'a filmé, c’est quand même différent que de le jouer dans une salle face à un public.

Victor Ducrest : Dans le premier CD de votre album, vous jouez des pièces de Scarlatti, de Couperin, de Beethoven, de Mendelssohn, de Schubert et de Liszt. Quel rapport avec vos « années de pèlerinage » ?

Éric Breton : Il y a certaines pièces que j'ai jouées dans ma prime jeunesse, par exemple la Pastorale de Scarlatti. La première fois que je l'avais entendue c'était sur un disque et elle m'avait immédiatement plu parce que quand j'avais 12 ou 14 ans mon père toutes les semaines nous achetait un grand livre cartonné avec un disque à l'intérieur sur les grands compositeurs qui paraissait toutes les semaines. L'Impromptu de Chopin et la Sonate de Beethoven faisaient partie de ce que je jouais à 15 ou 16 ans quand j'étais au Conservatoire.

C'est une sélection de pièces que j'aimais beaucoup et qui m'ont pour une bonne part accompagné pendant une partie de ma vie. J'ai considéré qu’elles faisaient aussi partie de mes années de pèlerinage.

Victor Ducrest : Vous avez titré votre disque « Mes années de pèlerinage » en pensant à celles de Liszt . Le pèlerinage pour Franz Liszt, ce sont ses voyages en Suisse et en Italie, c'est aussi une rencontre amoureuse. Mais le pèlerinage, c'est aussi aller vers un lieu sacré.

Éric Breton : Oui, exactement. Je pense que dans ma démarche, le sacré, c'est plutôt le retour sur mes années de formation, mes années de jeunesse. Pour Franz Liszt « Les Années de pèlerinage », ce sont ses années de formation, les années de sa jeunesse. C'est d'abord ce grand amour avec Marie d'Agoult, les années où il va énormément lire, où il va voir beaucoup de peintures. C'est quelqu'un qui n'a pratiquement pas fait d'études, qui est vierge de grandes connaissances. Donc c'est la jeunesse, les rencontres, la lecture, Dante, Faust, les voyages.

Vous avez raison de parler du sacré : c'est aussi pour moi une manière de renouer avec mes préoccupations sacrées, pas dans le sens véritablement religieux, où il est question de foi, mais plutôt par rapport à ce que j'appelle la spiritualité, c'est-à-dire le travail de l'esprit, et ce travail on le fait par la philosophie, par la réflexion, par la créativité, par l'admiration. Oui, c'est donc bien un retour vers le sacré. Mais dans mon cas, le sacré au sens de spiritualité, de préoccupation métaphysique.

Victor Ducrest : Les titres des passages qui sont totalement de vous (« Égrégore », « D'où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? ») ont une certaine résonance maçonnique. Ce n’est pas un hasard !

Éric Breton : Mon père avait une reproduction d'un tableau de Gauguin peint à Tahiti qu'il aimait beaucoup dont le titre est précisément D'où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?. Et puis ce sont des phrases qui sont très présentes dans la spiritualité maçonnique. Cette phrase résume en gros toute la philosophie. Et, pour moi, ça allait bien avec l'idée du pèlerinage : on part de quelque part, il y a le chemin, et on arrive quelque part. C'est venu non pas de façon délibérée à ma table de travail. C'est venu tout seul. L'exégèse, c'est l'art de trouver des explications auxquelles on n'avait jamais pensé auparavant.

D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? - Paul Gauguin - 1897-1898
D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? - Paul Gauguin - 1897-1898

Victor Ducrest : Les mots expriment bien toute cette réflexion de nature philosophique. Mais comment ça se transforme en musique car c'est bien de musique qu’il s'agit ?

Éric Breton : Ça s'est transformé d'une manière tout à fait naturelle. C'est une des particularités de ma manière de fonctionner. Je ne travaille pas dans la douleur, ni dans l'angoisse. Je n'ai pas besoin de veiller jusqu'à quatre heures du matin avec des bouteilles de whisky et des cigarettes pour trouver l'inspiration. Moi, quand je m'y mets, ça vient à partir du moment où je trouve le point de départ et il se trouve que ce point de départ, c'est le tableau de Pascal Bouterin, intitulé « Ensemble », qui illustre la pochette du disque. Je l'ai vu dans sa galerie à Saint-Rémy-de-Provence, j'ai été immédiatement scotché et pour moi j'y ai vu Dante et Virgile. Et quelque part je me suis vu un petit peu aussi.

Et de là est née cette idée de mes années de pèlerinage. Dante, Virgile, ça me conduit à Liszt évidemment. La « Dante-symphonie ». « La Divine Comédie » a toujours été un de ses grands livres de chevet, avec Faust. Et à partir de là, cette histoire de mes années de pèlerinage, s’est imposée parce que j'ai toujours adoré le titre. J'ai toujours été frappé par le côté extrêmement poétique de ce titre. Alors je me suis dit pourquoi ne pas parler de mes années de pèlerinage.

Pour ce faire, je suis parti de cette idée de cycle pour piano et puis il m'est apparu incontournable de l'appuyer sur celui qui est, pour moi, mon maître à penser, pas forcément musicalement, mais pour moi Liszt reste un personnage emblématique de mon panthéon musical. J'ai immensément d’admiration pour Beethoven, mais sa personnalité m’attire moins. J’ai une grande admiration pour Wagner, mais plus pour sa musique que pour le personnage, même s'il me fascine aussi. C'était vraiment quelqu'un de pas recommandable, mais sa musique me transporte.

Dante et Virgile : Dante conduit par Virgile, offre des consolations aux âmes des envieux, Hippolyte Flandrin, 1809. Musée des Beaux Arts de Lyon

Chez Liszt, en plus de cela, pour moi, c'est l'intervention de la noblesse, de la dignité, et de la noblesse du cœur, du talent, mais du talent acquis, par rapport à la beauté. Il y a des gens qui sont exceptionnellement beaux, et qui n'y sont pour rien. Alain Delon est né comme ça, il a eu de la chance, tant mieux pour lui, mais ce n'est pas quelque chose qui pour moi engendre une admiration extraordinaire. C'est la même chose pour Sophia Loren ou Elizabeth Taylor. Je les trouve très belles mais je ne suis pas admiratif.

En revanche, la vie de Liszt, la manière dont il a traversé sa vie, le siècle, dont il est allé vers la musique, vers les autres, reste pour moi un sujet de profonde admiration. Sa démarche musicale, le fait qu'il a toujours soutenu d'autres compositeurs. Il a toujours essayé de trouver de nouvelles pistes. C'est quand même lui qui est à la base de l'explosion de la tonalité, de la musique atonale, de la musique sérielle. Ce qui ne veut pas dire que ceux qui sont arrivés après lui en aient fait des choses exceptionnelles. Vous savez que je ne suis pas un « boulezien » fanatique.

Liszt est un créateur extraordinaire et un homme hors du commun. Pour moi, il conjugue le charme dans le vrai sens du terme. Je pense que c'est quelqu'un qui devait être fascinant, et avec en même temps la tolérance, l'ouverture aux autres, le dévouement. Liszt, tel que je l'imagine, c'était l'homme absolument fascinant et rayonnant en même temps. Donc tout d'un coup, il m’est apparu qu'il fallait que je me mette dans la trace de Liszt, comme Dante se met dans la trace de Virgile pour traverser l'enfer et le purgatoire. En fait ça s'est fait très naturellement.

Victor Ducrest : Nous parlons de cela avec ses mots, mais comment ça peut se transformer en musique. Comment choisir la tonalité, les thèmes musicaux. Comment cela vient-il ?

Éric Breton : Dans la première Année de pèlerinage (1855), j'ai choisi quatre pièces de Liszt qui me plaisaient particulièrement, que je pouvais considérer comme des bornes, si l'on peut dire, pour borner moi-même mon discours.

Et puis j'ai travaillé La chapelle de Guillaume Tell. Quand je suis arrivé à l’avoir un peu dans les mains, j’ai attaqué ma partie. Et là, spontanément me sont tombés sous les doigts ce début de Égrégore, et j'ai continué. Une fois que j'ai tiré le fil, le reste vient. Et ainsi de suite … Pour le dire, je suis obligé de segmenter ce qui se passe, mais en fait tout ça se fait en même temps.

Après Le Lac de Wallenstadt, je suis parti sur une musique qui au début me semblait un peu le prolongement de la composition de Liszt, et qui est arrivée sur quelque chose qui n'a strictement rien à voir et qui est même un peu de jazz, jazzy, parce que c'est venu comme ça.

Ensuite, je me suis approprié Au bord d'une source, qui m'a donné pas mal de souci, parce que c'est très difficile techniquement. Mais je n'ai jamais essayé d'imiter Liszt en me disant que j’allais faire son pendant. Non, ce n'était pas le pendant, la variation. C'était simplement : quand j'arrive au bout de la pièce de Liszt, qu'est-ce qui me vient sous les doigts ? et je suis parti là-dessus. Voilà.

Après je me suis rendu compte qu'il y avait une certaine cohérence. Et la dernière pièce « où allons-nous ? », est une pièce très lente, qui est presque un peu atonale. Il est vrai aussi que tout ce que je sais de Liszt, et tout ce à quoi j'ai réfléchi au cours de ces années a certainement une forme d'influence. Sur la fin de sa vie, Liszt a commencé à tourner autour de la musique atonale, en écrivant des pièces comme Les nuages gris (1881), Bagatelle sans tonalité (1885). C'est un peu de ces réminiscences qui me sont revenues.

Victor Ducrest : Pourquoi sur le CD avez-vous fait inscrire pour les morceaux de Liszt que vous jouez « d'après Franz Liszt ». Pourquoi cette mention ?

Éric Breton : Parce que je ne voulais évidemment pas m'attribuer la composition de ces pièces. Mais en même temps, comme je les joue à ma manière, avec des tempi qui ne sont pas forcément ceux auxquels on les joue habituellement, elles font partie intégrante de mon processus créatif. Par exemple Le lac de Wallenstadt, la plupart des pianistes le jouent beaucoup plus vite que moi. Je le joue très lent parce que j'avais besoin de cette pièce très calme dans mon propre cycle. De même pour Églogue. La plupart du temps, c'est joué un peu joyeux parce que c'est une petite pièce poétique mais un peu pastorale. Et moi je la joue plus méditatif.

Victor Ducrest : Vous utilisez pour titrer vos compositions des mots ou des expressions d’inspiration maçonnique.

Éric Breton : L'égrégore est en effet un terme que l’on trouve dans le vocabulaire maçonnique. C'est le titre de la première composition que j'ai écrite quand j'avais 18 ans. L'égrégore est ce qu'on a appelé l’âme du groupe, l'âme universelle. Et pendant les cérémonies maçonniques, on est censé atteindre cet égrégore, c'est-à-dire arriver à un moment où l'ensemble de l'assemblée maçonnique présente dans le temple se réunit en une espèce d'âme commune, d’esprit commun, qui relie aussi aux francs-maçons passés et futurs. C'est aussi ce qu'on appelle la « chaîne d'union », ce sentiment de faire partie d'une chaîne ininterrompue depuis la plus haute antiquité.

La maçonnerie date de la fin du XVIIe ou du début du XVIIIe siècle, mais malgré tout, beaucoup de gens pensent que la franc-maçonnerie n’est qu’un des maillons d'une chaîne qui remonte à la plus haute antiquité, les mystères d'Éleusis, l'Égypte ancienne, les Assyriens. C'est une manière de se raccorder à une chaîne de personnes qui réfléchissent sur certains sujets. À l'époque, j'avais composé un morceau qui s'appelait « « égrégore » sans trop savoir ce que c'était. Dans le cas présent, ce terme d’égrégore fait non seulement référence à cette notion typiquement maçonnique, mais c'est aussi un clin d'œil à mes jeunes années. C'est la première pièce que j'ai composée dans le cycle et c'est la première fois que je compose véritablement une pièce pour piano seul dont je fais la création moi-même.

Victor Ducrest : Vous êtes un homme actuel et un contemporain. Est-ce que vous composez de la « musique contemporaine » ?

Franz Liszt portrait photo piano biographie oeuvres
Franz Liszt

Éric Breton : Non, si c'est au sens de recherche échevelée de l'avant-garde absolue, cette espèce de fuite en avant qui fait que la plupart des compositeurs se sentent obligés d'aller toujours vers quelque chose de surprenant, choquant, contrariant, pour montrer qu'ils sont émancipés de la tradition.

Si on dit musique actuelle, on retombe dans la world music, la musique électro. Alors effectivement c'est toujours très difficile. J'ai l'habitude de dire - mais ce n'est pas très satisfaisant -, que c'est de la musique composée actuellement. J'utilise quelquefois le terme de postmoderne, qui est souvent mal connoté, mais qui, pour moi, a du sens. Chez beaucoup de gens, postmoderne, c'est le fait de dire que tout se vaut, que rien ne vaut rien, qu’on a fait le tour de tout, qu’on est dans cette désillusion totale du monde d'après.

Moi, ce que je comprends du terme « postmoderne », c'est justement après cette période où on a absolument voulu tout remettre en question, le fait d'avoir une relation pacifiée avec le passé et avec l'époque actuelle. Je ne suis pas en conflit avec la musique baroque, avec la musique classique, avec la musique romantique, avec la musique du 20ème siècle, avec le jazz. Je ne suis en conflit avec personne, j’aime toutes les musiques, et je puise mon vocabulaire dans l'ensemble du corpus qui est mis à ma disposition par l'histoire de la musique. C'est ça ma définition du postmodernisme. C'est-à-dire une fois qu'on a voulu faire table rase de tout, et qu'on se rend compte qu'on est dans une impasse comme l'est l'art contemporain à l'heure actuelle, – encore plus dans les arts plastiques où on est dans une espèce de fuite éperdue vers l'absurdité -, moi je dis que, passé cette période, passé cette bombe atomique, on se rend compte qu'on est héritier d'une histoire musicale, d'une histoire de l'art d'une exceptionnelle richesse. Il y a encore tellement à faire avec les mêmes notes, les mêmes rythmes en les agençant d'une manière différente, que je me sens parfaitement dans une relation pacifiée, admirative, créative par rapport à tout cela. D'où le terme post-moderne.

Alors bien évidemment on ne peut pas dire qu’on a tout lu, mais on se rend compte que la philosophie de Marc-Aurèle, de Platon ou de Spinoza n'a rien perdu de sa pertinence. On peut ne pas être stoïcien absolu mais on ne peut pas nier que le stoïcisme est une philosophie extrêmement intéressante, dont on peut continuer à se nourrir même si on est très intéressé par la philosophie de Nietzsche.

C'est d'ailleurs cela qui, pour moi, est une des grandes magies de l'art et de la philosophie par rapport à la science. La science chaque fois procède par élimination. Une fois qu'on a compris que la terre n'était pas plate, c'est quelque chose d’irrévocable. La théorie des humeurs en médecine, on en parle dans les bouquins d'histoire, mais bon voilà c'est terminé. En revanche on peut très bien continuer à lire Montaigne ou Pascal et ne rien renier de ce qu'ils ont dit. C'est pareil pour la musique. On peut très bien composer actuellement de la musique qui prend en compte l'ensemble de l'héritage des siècles passés tout en continuant à admirer Wagner, à trouver Couperin, et Haendel exceptionnels, - un peu plus Haendel que Bach en ce qui me concerne, mais c'est une autre histoire !

On n'est pas obligé de dire parce que j'aime Haendel « je vais composer dans le style de Haendel », comme on peut très bien être intéressé par la philosophie de Socrate sans nécessairement adhérer à la totalité de ce qu'il professe.

Victor Ducrest : Les artistes travaillent aussi pour un public, même quand ils défendent l'idée que l’art est avant tout une expression de soi. Vous composez par rapport à vous, mais vous vous adressez aussi aux autres à travers vos concerts. Pour quel public composez-vous ?

Éric Breton : Honnêtement c'est une question que je ne me pose pas. Moi, je me considère comme quelqu'un de très humble. Quotidiennement je remets sur le métier mon travail et je ne considère rien comme étant acquis. Par contre sur le plan de la création musicale, je ne me pose pas la question de savoir à qui je m'adresse. Je m'adresse avant tout au fait que j'ai besoin de composer de la musique, point final.

Il faut nuancer cela tout de même. Toute ma vie, j'ai fait de la musique, mais jusqu'à relativement peu de temps essentiellement sur commande, parce qu'il fallait que je gagne ma vie. J'ai toujours refusé de donner des cours au conservatoire. La carrière d'enseignant m'a toujours profondément déprimé bien que j'ai beaucoup d'admiration pour celles et ceux qui font ce métier. J'ai toujours préféré gagner ma vie en faisant ce que je savais faire, quitte à faire des musiques de revue pour des spectacles de travestis. Par contre quand je compose vraiment pour moi, ce qui est le cas de plus en plus et même maintenant totalement, je ne me pose pas la question de savoir à qui je m'adresse, ou si ça va plaire.

Victor Ducrest : Vouloir plaire et vouloir s'adresser aux autres sont peut-être deux choses différentes non ?

Éric Breton : Oui, bien sûr. Composer, dans mon cas, correspond à un besoin personnel, mais qui doit absolument être mis au contact du public. Il faut que ce soit montré. Je ne suis pas du tout dans la veine de certains artistes, surtout des peintres, qui considèrent que leur art, c’est leur art et qu’ils n'ont pas à le divulguer. Non. C'est vrai que quand je compose je ne me dis pas je vais faire ça parce que ça va plaire, mais bien évidemment, une fois que je l'ai fait, je préfère toujours qu'on me dise que c'est bien !

Victor Ducrest : Vous voulez donc dire quelque chose aux autres par la musique ?

Éric Breton : Oui, alors là vous m'aiguillez sur une autre réflexion. Et là je retrouve une parenté avec Franz Liszt. Liszt a justement toujours été quelqu'un de très ouvert, avide de rencontres, d'idées, pas du tout fermé comme c'était le cas de Wagner qui considérait que, en dehors de lui, tous les autres étaient des minables. Mais par contre Liszt a suivi son chemin musical sans jamais se poser la question d'être à la mode, à la différence de compositeurs comme Mendelssohn ou Verdi.

Victor Ducrest : C'est Beethoven qui disait « ils me comprendront plus tard … »

Éric Breton : On peut parler de gens comme Beethoven ou Wagner qui étaient certains de leurs valeurs, de leur art, de leur création et qui composaient véritablement selon leur choix et leur goût, mais ne prêtaient que peu d'attention aux autres, et de Liszt qui lui aussi avait cette démarche totalement personnelle et sur le plan musical, tout en étant très ouvert vers l'extérieur. C'est un petit peu dans ce sens-là que je me situe. Très ouvert vers tout, justement très ouvert par le fait que je ne renie pas le jazz, ce côté postmoderne. Je me sens de la même famille que Haendel, Scarlatti, Mozart, Beethoven, et en même temps quand je compose ma propre musique, j'ai mon orientation et je la compose avant tout selon ce qui me vient. Et il n'y a pas de volonté à m'en tenir à une espèce de dogme si l'on peut dire, comme Boulez ou Schönberg, des gens qui ont commencé par établir un genre de dogme et qui ensuite ont composé par rapport aux grands principes qu’ils avaient eux-mêmes fixés.

Victor Ducrest : À quand votre prochain concert et sous quelle forme ?

Je fais un concert jazz à Rochefort-du-Gard le 12 juin. Ensuite il y a la création de deux pièces vocales et chorales que j'ai composées aussi pendant cette période de confinement le 14 novembre à Nîmes.

Photo à la Une : Ensemble © Pascal Bouterin