Publié le 07/04/2021

La Chapelle Sainte-Roseline, un spin-off de la Fondation Maeght en Dracénie ?

La Chapelle Sainte-Roseline est un édifice religieux situé dans le département du Var et construit au XI siècle. Classée monument historique en 1980, son histoire exceptionnelle permet au public d’aujourd’hui de pouvoir contempler la momie de Roseline, considérée comme bienheureuse par l’Église catholique, entre autres trésors d’art moderne comme le miracle des roses de Diego Giacometti, et d’autres inspirations de Marc Chagall, Jean Bazaine, Raoul Ubac…

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Qu'est ce qui fait la spécificité de la Chapelle Sainte-Roseline, située aux abords du village des Arcs-sur-Agens ? Classée monument historique ce patrimoine édifié entre les XI et XII ème siècles mérite de s'y arrêter. Nous avons découvert pour vous ce lieu insolite situé sur le territoire de Dracénie, dans le département du Var, qui rassemble à la fois, le patrimoine historique, l'art moderne et le terroir.

À l’heure où j’écris ces lignes, les musées sont encore fermés. Et pourtant, j’ai pu me délecter d’une monumentale mosaïque de Marc Chagall, de quelques bronzes de Diego Giacometti (le frère du sculpteur et peintre Alberto Giacometti) et de somptueux vitraux de Jean Bazaine et Raoul Ubac… Non, ce n’était pas une visite privée de la Fondation Maeght… Vous allez tout savoir, un peu plus bas. Mais avant, je dois ajouter que cette belle collection d’art moderne côtoyait, dans le même lieu, une formidable momie, extraordinairement conservée, exposée dans une châsse en cristal, un ensemble de mobilier sacré et quelques retables, de toute beauté, datant des XVIème et XVIIème siècles. À la fin de ma visite, j’ai même pu boire un verre !

Des Arcs-sur-Argens à la chapelle Sainte-Roseline, par la vigne à vélo…

C’était le week-end. Le soleil se levait doucement et chassait les quelques nuages qui avaient profité de la nuit pour se réunir dans le ciel de la Dracénie. La journée s’annonçait belle et propice à une sortie en famille. Et zou ! Ni une, ni deux, des sandwichs dans un sac, des bouteilles d’eau dans un autre… Couteau ? « OK »… Bâton de marche ? « OK »… Casquettes et lunettes de soleil ? « OK »… Chips et pochon XXL de cacahuètes enrobées de chocolat avec plein de couleurs ? « OK »… « Louis… Non, tu laisses ton dinosaure, on va juste marcher !!! » Je l’ai écrit plus haut, c’est une sortie en famille… Direction la Chapelle Sainte-Roseline située sur la commune des Arcs-sur-Argens, en passant par la vigne à vélo.

La vigne à vélo en Dracénie

Pour ceux qui ne connaissent pas ce projet ambitieux, il s’agit d’un itinéraire, d’environ 42 kilomètres, destiné aux cyclistes et à tout ce qui peut rouler sur une voie douce (roller, trottinette…), mais aussi aux joggers et marcheurs. Le tracé passera par les domaines viticoles de Vidauban, Taradeau, Les Arcs-sur-Argens, La Motte, Le Muy, Trans-en-Provence et Draguignan. Ce sera l’occasion de découvrir un patrimoine riche et des sites remarquables.
La vigne à vélo rejoindra l’Eurovélo-8, appelé aussi « La Méditerranée à vélo ».

Entrée de la Chapelle Sainte-Roseline Les Arcs sur Argens © Jean-Antoine Santiago

Nous avons parcouru le tronçon de 5 kilomètres achevé à ce jour. Il relie la commune des Arcs-sur-Argens, berceau de Sainte-Roseline, à la chapelle Sainte-Roseline, lieu où repose la Sainte.

Après avoir traversé quelques vignes et bosquets, nous sommes arrivés sur un chemin, au bout duquel apparaissait, enfin, la chapelle.La bâtisse date du XIème siècle. Elle abrite la momie de Sainte-Roseline et les œuvres d’art que je viens d’évoquer plus haut.

Qui était Sainte-Roseline ? Comment des œuvres, attribuées à des artistes majeurs du XXème siècle, ont-elles trouvé leur place dans ce lieu spirituel ?

Sainte-Roseline, la "bienheureuse" ...

Roseline est une enfant du Pays. Et quelle enfant !

Elle est née le 27 janvier 1263. Elle est la fille d’Arnaud de Villeneuve, Seigneur des Arcs. La tour sarrasine qui surplombe le village, est un des vestiges du château qui l’a vue naître et grandir. Des prodiges et miracles vont ponctuer la vie de la Sainte. 700 ans après, Sainte Roseline a encore de fervents dévots.
Marguerite Maeght était de ceux-là, comme je vais vous le raconter un peu plus loin.

Roseline rejoint l’ordre des Chartreux en 1280. À la fin de son noviciat, en 1285, elle intègre le couvent des Arcs-sur-Argens. Au XIIIème siècle, le château, le cloître et la chapelle constituent un seul et même ensemble : la Celle Roubaud. Roseline deviendra prieure du couvent en 1300 et y résidera jusqu’à son décès, le 17 janvier 1329.

Je me contenterai de citer trois miracles qui permettent de découvrir Sainte-Roseline tout en éclairant les œuvres d’art moderne, présentes dans la chapelle.

Le miracle des roses selon Diego Giacometti

Le miracle des roses, Bas relief en bronze de Diego Giacometti © Jean-Antoine Santiago

Diego Giacometti illustre le premier miracle de Sainte-Roseline

Diego Giacometti, le frère et assistant d’Alberto Giacometti, a réalisé, pour la chapelle, un lutrin et quelques bas-reliefs en bronze. L’un d’entre eux s’intitule « le miracle des roses ». Le panneau est divisé en trois parties. En haut, à gauche, un homme est figuré, au milieu de son bétail, de ses vignes et autres richesses. Juste en dessous, courbés, les mains levées vers le ciel, des personnages demandent l’aumône. A droite, en majesté, sous les rayons du soleil, une jeune femme laisse tomber de son tablier une pluie de roses, vers les indigents.

Elle est âgée de 12 ans quand, après un hiver rigoureux, une grande famine sévit en Dracénie. Néanmoins, la noble famille des Villeneuve est à l’abri de la faim. Son cellier regorge de réserves. À l’insu de son père, Roseline détourne les vivres du château pour les distribuer aux pauvres. Alerté par l’intendance du palais, le Seigneur des Arcs décide de surprendre l’adolescente, la main dans le sac.

Alors qu’elle s’apprête à quitter le château, son tablier rempli de pains, Le Seigneur de Villeneuve surgit de l’ombre : « Où vas-tu ma fille ? Et que caches-tu dans ton tablier ? » Roseline est tétanisée. Elle se sent coupable, mais injustement coupable. Son larcin n’est motivé que par la charité chrétienne. Au fond d’elle-même, elle adresse une prière à Jésus, pour sortir de cette impasse. Elle lâche les pans de son tablier… À son grand étonnement, à la grande surprise de son père, les pains se sont changés en brassées de roses odorantes. Le Seigneur des Arcs voit là un signe de la volonté divine. Dès cet instant, les richesses du Château sont partagées, quotidiennement, avec le peuple, sans que jamais le cellier ne se vide.

Cet événement est un moment fondateur de la vie religieuse de la Sainte.

La tradition rapporte que cette scène s’est jouée devant « la porte du miracle ». Elle est encore visible, au pied de la tour sarrasine, dans le quartier du Parage, centre historique et médiéval des Arcs-sur-Argens.

Le repas des Anges selon Chagall

En entrant dans la chapelle Sainte-Roseline, le visiteur est saisi par la mosaïque monumentale de Marc Chagall. Trois Anges sont représentés, autour d’une table garnie de victuailles. Les couleurs sont claires, lumineuses et rappellent les tonalités caractéristiques de l’artiste peintre.

Chagall, âgé de 88 ans, interprète un autre miracle de la vie de Sainte-Roseline. La Sainte varoise est novice, au couvent de Saint-André de Ramières, dans le département du Vaucluse (probablement le village qui se dessine à l’arrière-plan). Elle est chargée de préparer le repas pour la communauté. Un jour, tandis qu’elle doit accomplir son service, Jésus vient la visiter. Une discussion s’engage entre la Sainte et son Seigneur. Roseline est subitement soustraite à sa méditation par les cloches qui sonnent l’heure du repas communautaire. Elle entend les sœurs arriver et la table est encore vide ! Prise de panique et de désespoir, Roseline ferme les yeux quelques secondes pour confier son désarroi à son divin interlocuteur. Lorsqu’elle les ouvre à nouveau, la table est dressée et trois anges, venus faire le service, retournent vers leur demeure céleste. Au même instant, les sœurs pénètrent dans le réfectoire et sont témoins du prodige.

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Le Repas des Anges, Mosaïque monumentale de Marc Chagall © Jean-Antoine Santiago

La momie de Sainte-Roseline selon Cristóbal Balenciaga

Le corps de Roseline repose dans une châsse en cristal, momifié, vêtu de ses atours de Chartreusine.

De nombreux miracles sont attribués à Roseline, dès son décès. Le nombre de dévots croît sans cesse. Très rapidement, la Celle-Roubaud devient un lieu de pèlerinage. La dépouille de Roseline sera exhumée 5 ans après sa mort. Le corps a été miraculeusement bien conservé. L’ouverture de la sépulture sera accompagnée d’une forte odeur de rose. Pour l’Église, ces faits confirment la sainteté du personnage. Il est décidé que Roseline sera ainsi exposée aux pèlerins.

La momie a subi quelques restaurations, notamment au XIXème siècle. En 1894, des dégradations font leur apparition. Des insectes et moisissures menacent sérieusement la conservation de la sainte relique. Elle sera traitée par le docteur Pietro Neri et consolidé par des attaches métalliques savamment dissimulées. Certaines parties seront reconstituées par des ajouts de cire. Une teinte brune homogène donnera l’aspect momifié.

En 1968, la chapelle sera rénovée par la volonté de Marguerite Maeght, l’épouse d’Aimé Maeght, le couple à l’origine de la fondation éponyme. Roseline passera, une dernière fois par les mains de restaurateurs parisiens et sera revêtue d’une tenue dessinée et conçue par Cristóbal Balenciaga. Oui, le couturier des reines, des princesses et des stars les plus « glamour » des années 1950 et 1960, Grace Kelly, Ingrid Bergman, Marlène Dietrich et tant d’autres ! L’inventeur de la robe Baby Doll, celui que ses pairs ont nommé « le couturier des couturiers », va habiller Roseline, telle que l’on peut la voir actuellement.

La générosité selon Roseline… et Marguerite Maeght

Retable daté de 1541, attribué à François Bréa © Jean-Antoine Santiago

Il est temps de parler de Marguerite Maeght

Yoyo Maeght, sa petite fille, raconte dans son livre, « La saga Maeght », comment sa grand-mère prit l’initiative de la renaissance complète de la chapelle, en 1968. Marguerite cultive une certaine dévotion à Sainte-Roseline. C’est probablement pour cette raison que Yoyo porte Roseline en troisième prénom. Adrien Maeght, le fils de Marguerite et Aimé, a épousé Paule. Ils ont eu trois filles, Yoyo, Isabelle et Florence. En 1967, Paule, est enceinte. Marguerite souhaiterait un petit-fils. Sans avoir l’avis de Paule, Marguerite s’engage à financer l’installation électrique de la chapelle si l’enfant à venir est un mâle. Les travaux commencent bien avant la naissance de Jules. Marguerite ne s’arrête pas à l’électricité. La Momie, comme nous venons de le voir, est envoyée à Paris, le mobilier et les œuvres d’art des XVIème et XVIIème, les ex-voto, tout est traité.

Marguerite va plus loin. Il faut orner la chapelle d’œuvres contemporaines. Elle commande donc des bronzes à Giacometti, des vitraux à Jean Bazaine et Raoul Ubac, et une monumentale mosaïque à Chagall.

Mais, pour autant, la chapelle n’est pas encore accessible au public. Ni le propriétaire du domaine, le Baron de Rasque de Laval, ni la mairie des Arcs-sur-Agens, ne sont disposés à faire un effort dans ce sens. Marguerite n’est pas une femme à laquelle on refuse ! L’ouverture de la chapelle, pour tous, se jouera devant les tribunaux. Marguerite mènera ce combat avec une grande pugnacité, une constante élégance et beaucoup d’humour.

L’ascèse de Roseline et le luxe de Marguerite semblent éloigner les deux femmes, l’une de l’autre. Mais elles ont en commun, outre de porter des prénoms liés à des fleurs, cette générosité. L’une offrant la pitance aux indigents, l’autre la culture pour tous.

Autour du vin et du terroir en Dracénie

Et pour finir, je suis allé boire un verre… In vino vérit’art !!

Et oui, parce qu'en sortant de la chapelle, on tombe directement sur le domaine Sainte-Roseline, un « cru classé » de l’appellation Côtes de Provence.

C’est encore une histoire de femmes et de générosité. Aurélie Bertin est l’actuelle propriétaire du domaine. Elle est présidente des Eléonores de Provence, une association qui réunit une quarantaine de femmes impliquées dans la viticulture provençale et sa promotion. Les Eléonores soutiennent de nombreuses initiatives de solidarité depuis plus de dix ans.

Mais, bien avant Aurélie Bertin, une autre dame, l’ancienne propriétaire du vignoble, la Baronne de Rasque de Laval, est à l’origine de la création iconique du domaine : la « Lampe de méduse ». La Baronne a imaginé le nom et dessiné la bouteille en s’inspirant d’un flacon de parfum de Grasse.

En 2020, pour les 70 ans de la « Lampe de Méduse », Christian Lacroix a habillé le « flacon » d’une délicate et élégante dentelle blanche sérigraphiée. Selon lui, « ce bracelet de dentelle incarne le Château Sainte-Roseline. Il est une ode à sa beauté et au souvenir de la généreuse Roseline de Villeneuve ».

C’est cette « Lampe de méduse » que j’ai goûtée, avec modération… Et gourmandise.

Patrimoine historique, art moderne, et le reste ?

Je fais le choix, dans cet article de ne développer que la partie relative aux œuvres modernes.

J’ai parlé, plus haut, de ce mobilier et de ces œuvres d’art des XVIème et XVIIème siècles. Je crois que cela doit faire l’objet d’un autre article qui évoquerait, notamment, la famille Bréa et « l’École de Nice », des XVème et XVIème siècles. Leurs retables sont nombreux dans les Alpes-Maritimes, mais également en Italie. La figure féminine est toujours peinte avec tendresse et pudeur. Il serait également intéressant de revenir sur l’influence de la famille Bréa dans la peinture, entre Marseille et Gênes, durant les XVème et XVIème siècles… Je vais m’y mettre, c’est promis !