Publié le 29/03/2022

Exposition au MUCEM : Histoire(s) de René L. Hétérotopies contrariées

Expo au MUCEM du 25/02 au 8/05/2022. « Ce sont dans ces tas de papiers « à jeter », ces strates délaissées, que notre regard a buté un jour de visite de bâtiments asilaires destinés à la destruction. La grande pièce qui fut pendant un siècle un dortoir collectif d’agités est devenue le réceptacle d’un ensemble de cartons. Là, contre un mur de cette salle de cet hôpital psychiatrique, on a trouvé d’épais rouleaux de papiers. Déroulant ces feuilles, sont apparus des dizaines de dessins, les uns tracés seulement au crayon noir, les autres coloriés consciencieusement. »

Expo Mucem 2022 Histoires de René L

Histoires de René L, Hétérotopies contrariées ... L'exposition est à voir au Fort Saint-Jean jusqu'au 8 mai, proposée dans le cadre de la programmation 2022 du Mucem.

Histoire(s) de René L. Hétérotopies contrariées

Un devoir de mémoire

Exposition Histoire(s) de René L., Hétérotopies contrariées

A partir d’une quarantaine de dessins de René Leichtnam, Philippe Artières et Béatrice Didier, commissaires de l’exposition, ont décidé de dérouler, en regard, l’histoire du XXe siècle.

Histoire(s) de René L. Hétérotopies contrariées Expo Mucem 2022
Dessin de René L. Deuxième moitié du XXe siècle © Collection particulière, D. R.

René L. Témoin de son temps

Quel soulagement si René L. avait su !!! S’il avait su que d’autres artistes poseraient un regard curieux, un regard humaniste sur ses dessins, des dessins pour l’histoire, une histoire pour l’humanité.
Le MUCEM a choisi de mettre les dessins de cet artiste méconnu, René Leichtnam, enfermé dès l’âge de 20 ans en hôpital psychiatrique où il mourra, en regard, en association avec notre histoire. René L. a vraiment existé ; il est né au début des années 1920 et est mort en 1993. Tous les éléments biographiques qui sont présents dans l’exposition sont exacts ; l’histoire de sa famille l’est aussi, celle de ces Alsaciens qui après la défaite de 1871 ont été contraints de partir en Algérie pour rester Français. La vie de René L. dans les institutions psychiatriques, que ce soit l’hôpital psychiatrique de Blida ou la fondation du Bon-Sauveur à Picauville est aussi authentique. Mais qu’a-t’il perçu de l’histoire dont il a été contemporain, celle de la colonisation, celle de la psychiatrie et sa réforme à partir des années 60, mais aussi celle de l’architecture de la reconstruction, le Havre d’Auguste Perret ou encore un événement aussi médiatique que l’arrivée du paquebot France dans les années 60 ou les jeux olympiques de Grenoble en 1968 ?

Histoires de René L - Exposition Mucem 2022
Hôpital psychiatrique de Blida-Joinville (Algérie), La Construction moderne. Revue hebdomadaire d'architecture, n° 25-26, 7 et 14 mai 1939 - Collection particulière © Photo : Arthus Boutin

Cette exposition part à la recherche de René L., non dans les archives de l’Etat civil ou des institutions psychiatriques, mais dans l’Histoire, la grande. Celle qui fait l’objet de traités, celle qui dessine les villes, celle qui détermine nos existences. Inventer René à partir des images, des documents, des archives, des œuvres. Ne pas avoir peur d’accrochages fragiles, d’associations improbables. Risquer l’histoire ; suivre René L., et peut-être, de trace en trace, explorer une autre mémoire de notre présent.

Hétérotopies contrariées

Expo Mucem 2022 Jeu cubes paquebot France 1960
Jeu de cubes représentant le paquebot France. Années 1960. Collection particulière © Photo : Arthus Boutin

Cette exposition propose un parcours dans notre vingtième siècle et les hétérotopies dont il fut le théâtre. Reprenant le concept de Michel Foucault pour désigner ces « espaces autres », ces espaces qui rassemblent en un même lieu tous les lieux, ces mondes non pas fictifs comme les utopies, mais bien réels et qui sont comme autant d’ilots autonomes de l’archipel que compose notre modernité, l’exposition donne à voir les hétérotopies que René L. a traversées et qu’il a largement dessinées.

René L Exposition Mucem 2022
Germaine Richier, Coureur, vers 1955.
Bronze, 13 x 54 x 94 cm. Paris, Centre national des arts plastiques. Germaine Richier © Adagp, Paris, 2021 ; photo : Cnap / Fabrice Lindor

L’hétérotopie du navire (qui transporte les colons vers l’Algérie ; qui tel le paquebot France à partir des années 1960 est une exposition universelle flottante ; qui à l’image du bateau naufragé représenté sur un ex-voto marin dit le chaos) ouvre ce parcours pour s’aventurer ensuite dans l’hétérotopie coloniale. On arrive ainsi dans le bourg de Perregaux, sa mairie, sa poste, son palais de justice, on visitera les grands chantiers de logements collectifs, ceux rêvés par Le Corbusier pour Nemours et Alger, ceux réalisés par Fernand Pouillon. Par cette hétérotopie coloniale, on accédera à celle de l’asile et à l’hôpital psychiatrique modèle de Joinville-Blida. On découvrira les thèses primitivistes de l’Ecole d’Alger. En miroir, on suivra René L. à l’asile du Bon-Sauveur dans la Manche, après son rapatriement tardif. Là, par une série de ses dessins, on comprendra l’importance d’une autre hétérotopie, celle des Jeux olympiques, ceux de Grenoble en 1968 : on rêvera devant l’anneau de vitesse et les fresques de Vasarely. On traversera le village olympique de Novarina.
L’exposition Histoire(s) de René L. Hétérotopies contrariées propose ainsi avec comme fil rouge la biographie d’un individu psychiatrisé, une autre mémoire de notre vingtième siècle, une mémoire fragmentée, contradictoire et complexe où les rêves se heurtent et se brisent, une mémoire sociale et culturelle discontinue.

L’Art et la psychiatrie

La psychiatrie est une composante spécifique de la psyché qui prend le dessus et se développe de diverses manières. Dans de nombreux cas, pour les personnes souffrant de troubles mentaux, l'art est une dimension qui sert de thérapie efficace de réhabilitation et de soutien, dans la mesure où l'individu redécouvre sa propre dimension expressive naturelle et authentique, ce qui l'aide à rétablir sa dignité personnelle, souvent perdue dans les affres de la maladie. En ce sens, l'art et la psychiatrie ont certainement beaucoup en commun.

Expo Mucem 2022 Histoires de rené L
Rapatriés d'Algérie arrivés à Marseille et descendant du paquebot, 1962. Chambre de commerce et d'industrie Aix Marseille Provence - CCIAMP, Marseille
 © Coll. CCIAMP ; cliché : P. Domenech

Des hommes et des femmes, emprisonnés par une vie qui les rend esclaves d'eux-mêmes et de leurs propres actes, ont trouvé dans l'art leur moyen d'évasion, en prison ou dans des cliniques psychiatriques. Le malade mental est un cas spécifique à part, dans la mesure où, à la différence d'autres maladies précisément reconnaissables, il a longtemps été relégué et considéré comme un sujet d' "indéfinition diagnostique", souvent jugé irrécupérable, et donc marginalisé et relégué à l'abominable condition d'une vie purement "végétative" ou de cobaye pour des méthodes inhumaines d'application thérapeutique basées sur la contention.

Deux mondes qui se rencontrent

Au temps de René L., il n’y a pas si longtemps, le monde psychiatrique était un monde mystérieux, caché, à part, un monde parallèle. Cette exposition, au-delà de la connaissance de notre histoire et de la rencontre de personnages, fait réfléchir sur la marginalité, sur l’écoute, la rencontre, enfin, de deux mondes.