Publié le 11/02/2020

Paul Minthe, acteur aux multiples facettes

PAUL MINTHE

Portrait de Paul Minthe, acteur aux multiples facettes, à l'occasion de sa représentation du Misanthrope aux côtés de Lambert Wilson .

Un Misanthrope d’anthologie

À la fin de la représentation de cet admirable Misanthrope nominé deux fois aux Molières 2019, la virtuosité des acteurs, la génialité de la mise en scène signée Peter Stein, la sobriété des décors, la beauté des costumes, ont eu raison de la quiétude de cette magnifique salle du théâtre Axel Toursky en ce 1er février 2020.

Un déchainement d’applaudissements traduisant la joie, le bonheur, intense, la fougue, des bravos et des rappels, ont salué la fin du spectacle. Époustouflant !

Et quel professionnalisme ! Enfin la langue de Molière !...celle dont on se délecte, fabuleusement énoncée, restituée dans toute sa beauté, savourée, mise en bouche et en oreille avec gourmandise. Molière, interprété à la perfection, sans en faire trop, ni trop peu, laissant la place au langage avec extase. Éblouissant de talent, Lambert Wilson Alceste fougueux, élégant, magistral, est littéralement habité. De Jean-Pierre Malo, formidable Philinte, à Dimitri Viau et Jean-François Lapalus, en passant par Hervé Briaux, Brigitte Catillon, Manon Combes, Pauline Cheviller, Léo Dussolier, Patrice Dozier et Paul Minthe, la troupe en son entier ressuscite Molière.

Nous avons voulu rencontrer Paul Minthe, extraordinaire acteur, qui joue l’un des deux marquis prétendants de Célimène. Si le comique du personnage est accentué par la différence de taille entre les deux marquis -Léo Dussolier, grand à l’allure dégingandée, Paul Minthe, petit- l’acteur éclate dans ce rôle. Artiste, interprète, Paul Minthe poursuit avec passion une brillante carrière au théâtre, mais également au cinéma et à la télévision.

« La fiction soutient le réel » (Paul Minthe)

Projecteur TV-Danielle Dufour Verna : Paul Minthe, vous êtes acteur, réalisateur, metteur en scène…
Paul Minthe : Je viens d’écrire un livre

Projecteur TV - DDV : Qui s’appelle ?
Paul Minthe : ‘La promesse de Samothrace’ paru aux Editions des Lettres mouchetées. C’est un livre qui parle du conflit entre le réel et l’imaginaire, le propre de l’acteur. Le personnage est réel. Le lieu de théâtre comme fiction. C’est une histoire qui s’articule un peu autour du Misanthrope.

Projecteur TV- DDV : Vous avez étudié les auteurs anciens ?
Paul Minthe : Oui, je suis très passionné par la mythologie, l’histoire ancienne, l’art, L’histoire tout court. Que se racontait Néandertal quand il voyait la foudre tomber etc. Cela m’amuse beaucoup. On est les enfants de l’histoire et on nous reproche beaucoup de raconter des histoires.

"L’acteur attend qu’on l’appelle, l’écrivain fait tout seul"

Projecteur TV - DDV : Parmi vos nombreuses activités, y-en-a-t-il une que vous aimez en particulier ?
Paul Minthe : Je suis acteur, profondément. Cela me permet de cacher mon identité. Cela me permet d’avoir un goût littéraire et cela me permet d’être physique. Je suis profondément acteur, mais si j’avais un peu de succès, j’adorerais l’écriture, écrire, avec la discipline que cela demande. J’ai un peu tardé mais je me sens prêt maintenant à cet effort, cette rigueur. L’acteur attend qu’on l’appelle, l’écrivain fait tout seul.

Projecteur TV DDV : Pourquoi « cacher votre identité » ?
Paul Minthe : Je suis très timide, je suis fragile, c’est l’essence de l’acteur. On parle beaucoup superficiellement. C’est pourquoi on adore les histoires. Moi je doute, mais quand je suis sur scène, je ne doute plus, c’est le personnage qui me porte.

Projecteur TV DDV : Préférez-vous jouer au théâtre ou au cinéma ?
Paul Minthe : C’est complémentaire. Il faut vraiment faire les deux. Il y en a un où vous êtes en relation avec le public, il y a de l’oxygène. Le public qui nous fait respirer, nous donne l’oxygène et c’est formidable. Et il y en a un qui est beaucoup plus narcissique. Il y a quinze projecteurs sur vous, la caméra à trois centimètres qui vous dit ‘Ne bouge pas’. C’est très sec. Vous donnez, vous donnez, et vous ne savez même pas où ça va, si ce sera gardé, dans quel ordre ce sera monté…
Projecteur TV DDV : Le fait de ne pas terminer, d’être toujours en suspens, cette unité d’action que l’on a sur une scène ne vous manque pas au cinéma?
Paul Minthe : Oui, cela me manque. L’idéal c’est trois pièces par an et un film ou l’inverse. Au théâtre il y a du monde, au cinéma vous vous asphyxiez. Il faut que cela soit complémentaire.

Paul Minthe, l'acteur dans l'intime

Projecteur TV DDV : Parlez-moi de vous, votre enfance, votre parcours.
Paul Minthe : On m’a raconté beaucoup d’histoires. J’ai eu une relation privilégiée avec mon grand-père. On dormait dans le même lit et il me racontait des histoires. Puis il s’endormait avant moi. J’ai été très bercé par cela, les histoires qu’on raconte. Je me suis intéressé au Français, les romans, les fictions. J’ai eu la chance d’avoir de bons professeurs qui m’ont donné le goût de la littérature. Après ma licence de lettres je suis parti à Grenoble faire du ski. Je tournais en rond et je me suis inscrit au conservatoire de Grenoble. Là j’ai eu le coup de foudre, je voulais faire l’acteur. Je gagnais ma vie en station de ski et je faisais du théâtre quand je redescendais. Pour le premier article que j’ai eu, la journaliste a écrit en titre: « Des planches aux planches ».

Projecteur TV : Magnifique raccourci ! Et Vos parents ?
Paul Minthe : Je suis né à Paris d’un père d’origine russe et d’une mère sicilienne de Palerme, au nom de famille captivant de Bellafiore (Bellefleur). Mon père était très littéraire mais quand je lui ai dit que je voulais être acteur, il m’a répondu que ce n’était pas un métier. Ce qui l’intéressait par la suite c’était voir son nom, en grand, dans le générique sinon il n’était pas content. Quant à ma mère, oui, elle était très fière que je sois artiste. Elle ne l’était pas elle-même. Elle était coquette, elle riait. Elle était assistante sociale, puis prof de yoga.

Projecteur TV DDV : Vos premiers succès ?

Paul Minthe : C’était au Théâtre de l’Aquarium, un théâtre un peu collectif. On avait fait une pièce qui avait fait un triomphe. Un professeur avait enregistré le conseil de classe à l’insu du proviseur et des autres. On entendait la façon dont ils parlaient des élèves, dont ils traitaient les gens et nous en avons fait une pièce.

Projecteur TV DDV : Quel homme êtes-vous? Pas l’acteur ni l’écrivain mais l’homme…
Paul Minthe : Je suis très occupé à l’amitié, l’amour, mes enfants. Les acteurs sont trop « Moi, moi, moi ». Je suis quelqu’un qui veut être fidèle, attentif aux autres. Je suis très occupé par cela aussi. J’aimerais être digne, un homme digne.

ProjecteurTV DDV : Quelles personnes, au théâtre ou au cinéma vous ont porté, que vous admirez ?
Paul Minthe : Pour faire court, au cinéma Pascal Thomas*, au théâtre Jean-Louis Benoît* et Jean-Louis Martinelli*. Des personnes qui m’ont suivi, qui m’ont poussé, qui me soutiennent.

Projecteur TV DDV : Parlons du Misanthrope, la pièce dans laquelle vous jouez actuellement. La différence de taille entre les deux marquis, qui ajoute au comique, est-elle voulue ou est-ce un fait du hasard ?

Paul Minthe : Oh non ! C’est la volonté du metteur en scène. On me dit souvent : « Ah, je t’ai trouvé un rôle formidable, j’ai un rôle formidable… » Je lis le truc et à un certain moment je vois marqué : ‘Petit’. Je suis condamné aux ‘petits’…

Projecteur TV DDV : Est-ce la même troupe qui joue en province et à Paris ?
Paul Minthe : Oui, c’est exactement la même. On joue tous les jours avec un jour de relâche par semaine. On a joué pendant 6 mois à Paris.

Projecteur TV DDV : Ressentez-vous -le mot lassitude serait trop fort- une usure à jouer tous les soirs la même pièce ?
Paul Minthe : Celle-là non ! Parce que Peter Stein a une mise en scène très subtile et la langue est inépuisable. Vous avez toujours l’impression de redécouvrir quelque chose.

Projecteur TV DDV : Difficile d’apprendre ce texte ?

Paul Minthe : C’est très dur. Et en même temps extrêmement porteur. Mais c’est extrêmement musical. J’ai un grand plaisir à mettre cela dans la bouche, à le travailler. C’est tellement subtil. Et de le mettre en accord avec le jeu des acteurs. Il y a la férocité chez Lambert Wilson. C’est sublime.

Projecteur TV DDV : La sobriété, la simplicité du décor, l’unité de lieu, met en valeur les personnages et le langage.
Paul Minthe : Vous avez parfaitement raison. On ne sait pas ce que c’est. Ce n’est pas vraiment un salon, un corridor…

Projecteur TV DDV : Vous avez travaillé longtemps la présentation de la pièce ?
Paul Minthe : On a répété deux mois. On travaillait beaucoup. Peter Stein nous a fait travailler chaque jour le texte avec minutie.

Projecteur TV DDV : Que pensez-vous d’Alceste, du personnage ?
Paul Minthe : C’est très difficile d’en parler comme cela. Evidemment qu’il est –excusez-moi l’expression- bête comme un balai et évidemment qu’il est formidablement intelligent. Qui peut vivre avec une telle rigueur ? Qui ne peut pas se compromettre un peu ? C’est un personnage qui passe à côté de l’amour. Il lui suffirait de dire oui. Non il ne peut pas. Il gâche quelque chose de formidable et pourtant…

Projecteur TV DDV : ce discours de Molière est toujours d’actualité
Paul Minthe : Oui, il est d’une actualité incroyable.

Projecteur TV DDV : Quels sont vos projets à court terme ?
Paul Minthe : J’ai un autre livre que je dois écrire mais j’attends que le premier se lance un peu. Je vais également tourner un film en Suisse. Ce qui est déjà formidable. J’aurais un peu d’argent pour m’occuper de mes enfants, les emmener en Algérie où j’ai envie d’aller.

Projecteur TV DDV : Difficile de gagner sa vie quand on est comédien ?
Paul Minthe : Ce qui est difficile, c’est la continuité. Et puis cela s’est beaucoup rétréci. La culture a beaucoup perdu, beaucoup. Il faut durer. On rame, à deux, car mon épouse, Marie-Paule Sirvent, est comédienne également.

Projecteur TV DDV : Le bonheur pour vous, c’est quoi ?

Paul Minthe : Jouer plus avec des très grands, de très grands metteurs en scène, comme Peter Stein. Il faut parler du monde, sans prétention. Quand vous jouez comme cela, que les salles sont combles, que l’équipe est merveilleuse, c’est un bonheur incessant.

« Moi, je m’enfuis dans les rêves. M’enfuir moins, et travailler plus »

Projecteur TV DDV : Quelque chose à ajouter ?
Paul Minthe : J’ai une phrase que j’aime beau: la fiction soutient le réel. Je suis épris de cela et cela me pose des problèmes. Je suis beaucoup dans l’imaginaire. Je ne suis pas fou. Je ne me balade pas déguisé en Dartagnan dans la rue mais, quand-même, je vis beaucoup là-dedans. Et il faut que je puisse jouer. J’ai besoin de cela. Si je ne joue pas, je suis très handicapé. Il me manque un truc. Je ne suis absolument pas pragmatique, pas concret. Moi je m’enfuis dans les rêves. M’enfuir moins et travailler plus.

*Pascal Thomas est un acteur, réalisateur, producteur et scénariste français. Il a reçu en 2008 le « Grand Prix du Cinéma » décerné par l’Académie Française.
*Jean-Louis Benoît est un acteur, réalisateur, scénariste français. Il a dirigé le théâtre de l’Aquarium de 1970 à 2001.
*Jean-Louis Martinelli est un metteur en scène de théâtre qui dirige à présent sa propre compagnie.

Autres interviews d'artistes du même auteur : 

Guédiguian, le cinéaste de l’Estaque qui étreint le monde
Cyrano aux Tranchées du réalisateur Édouard Dossetto. Coup de Maitre pour un coup d’essai
Claude Brozzoni, metteur en scène « Faire homme en nous »
Gilles Ascaride un intellectuel en goguette